Accompagner l'interdisciplinarité : retour sur le bootcamp d'embarquement de la promotion 4 des entrepreneur(e)s d'intérêt général
Après quatre ans d’existence et d’évolution permanente, le programme Entrepreneur(e)s d’Intérêt Général passe à l’échelle : cette année, ce sont 41 EIG, parmi lesquels 18 femmes et 23 hommes, qui ont décidé de joindre leurs expertises pour relever 17 défis d’amélioration du service public par le numérique. Cette nouvelle promotion fait la part belle au design, à la suite de l’expérience réussie des Designers d’Intérêt Général, qui a désormais fusionné avec le programme EIG. La taille de la promotion et le rôle renforcé que le design y joue laissent présager de nouvelles dynamiques, que nous avons commencé à observer pendant le bootcamp d’embarquement qui a eu lieu du 21 au 25 septembre 2020.
La quatrième promotion du programme Entrepreneur(e)s d’Intérêt Général réunie à l’occasion du bootcamp d’embarquement
Pendant cette semaine, devenue un véritable rituel de rentrée, les entrepreneures et entrepreneurs d’intérêt général se sont éclipsés de leurs administrations pour se retrouver pour la première fois collectivement, trois semaines après le début de la promotion. Au menu de cette semaine en présentiel et à distance, conditions sanitaires obligent : apprendre à se connaître et découvrir le programme ainsi que l’écosystème du numérique public sur lesquels elles et ils pourront s’appuyer dans les prochains mois. L’équipe de coordination du programme souhaitait, d’entrée de jeu, insuffler une dynamique de communauté, encourager la collaboration, transmettre les valeurs du programme (open data, open source, accessibilité) et fournir aux EIG tous les outils indispensables à la réussite des défis. Au fil des échanges et des ateliers, un aspect clef de cette nouvelle promotion s’est révélé à nos yeux : l’interdisciplinarité.
Un groupe d’EIG qui discute pendant le bootcamp d’embarquement
Dans l’interdisciplinarité, “les disciplines créent des liens entre leurs champs de compétences et s’allient pour produire un résultat partagé issu des apports de chacun” (Huutoniemi et al., 2010 dans Dechamp et Delaunay, 2016). Si l’interdisciplinarité a toujours été au cœur du programme EIG, elle a été renforcée cette année avec l’arrivée de 14 designers, contre 5 l’année précédente. La complémentarité des équipes s’en retrouve accrue et l’union des compétences devient encore plus fertile. L’apport du design permet d’aboutir à des services et des produits numériques qui prennent encore plus en compte les besoins des utilisateurs. Dans de telles équipes, chacune et chacun est alors garant d’un aspect du défi : la ou le designer s’érige en “porte-parole de l’utilisateur”, la développeuse ou le développeur s’occupe de la construction, du maintien et du déploiement des produits et la ou le data scientist se concentre sur l’exploitation et la valorisation des données. Cette richesse offre également beaucoup d’opportunités pour les EIG de se former et d’apprendre de leurs compétences respectives, et ainsi de nourrir ses propres approches au fil des interactions.
Bien qu’une force, cette interdisciplinarité constitue également un défi. En effet, l’arrivée de designers dans les équipes EIG questionne la temporalité des projets en invitant en début de défi à faire un pas de côté au moyen d’une immersion terrain et d’une recherche utilisateurs. En posant la question du “pourquoi”, la ou le designer propose d’identifier la problématique réelle et les cas d’usage, ce qui permet souvent de sécuriser l’adoption du projet mais représente un investissement en temps important. Cela entraine notamment un report de l’étape “production” à proprement parler que développeuses, développeurs et data scientists sont impatients d’attaquer. A cela s’ajoute parfois un manque de compréhension du métier de l’autre qui voile la vision commune et peut compliquer l’organisation de l’équipe ou la prise de décision. En effet, si l’accent a souvent été mis sur l’acculturation des mentors et des agents des administrations d’accueil par la sensibilisation ou la formation, celle nécessaire au sein des équipes EIG apparait maintenant plus distinctement.
Les bonnes pratiques pour tirer le meilleur parti de l’interdisciplinarité
Comment résoudre ces problématiques ? La question de l’interdisciplinarité a traversé l’ensemble du bootcamp. De premières pistes ont été formulées et certaines ont même déjà été mises en œuvre par les EIG. Nous vous proposons de vous les présenter dans cet article.
Pendant le bootcamp d’embarquement, l’équipe de coordination du programme a dédié une demi-journée à des ateliers de partage de pratiques auto-organisés, afin de s’appuyer sur les envies, les compétences et les contributions de la promotion. Les EIG y ont vu un moment privilégié pour se saisir des enjeux posés par l’interdisciplinarité. Durant leur session de travail, beaucoup ont partagé leurs inquiétudes. “Comment mieux comprendre le métier de l’autre ? Comment collaborer efficacement ? Comment comprendre les choix des autres métiers ? De quels rituels avons-nous besoin ?” sont autant de questions qu’elles et ils se sont posées. Toutes et tous s’accordent sur les bonnes pratiques suivantes :
- Initier l’autre à son métier. Plusieurs formats ont été suggérés : des ateliers d’initiation et de présentation de concepts clés, des exercices “vis ma vie” ou encore des témoignages d’un métier sur sa vision et son rapport avec l’autre métier. Le but : dissiper les préjugés et créer un socle de connaissances commun pour communiquer plus facilement ;
Pour approfondir : l’article "Comment faire du design de services dans l’administration ?" écrit par Coline Lebaratoux, designer au sein du défi EIG 3 ACOSS Plateforme. - Clarifier l’organisation de l’équipe projet : s’accorder sur les rôles respectifs et le format de prise de décision, définir les besoins de chacune et chacun et bien évaluer le temps requis pour ainsi que la priorité de chaque tâche ;
- Mettre en place des rituels : réunions rapides quotidiennes avec tour d’inclusion, rétrospective, revues de design/code/data, etc.
- Augmenter la transparence concernant ses choix en partageant régulièrement ses avancées avec le reste de l’équipe projet. A ce titre, le défi France Transition a proposé un format pour ces partages.
- Exploiter des outils collaboratifs, de préférence open source : CodiMD, OpenProject, Wekan, Agorakit, etc.
L’atelier auto-organisé portant sur l’équipe interdisciplinaire qui a permis aux EIG de mettre en commun leurs bonnes pratiques
Cette prise de recul sur les premières semaines d’immersion est arrivée à point nommé, puisque les EIG ont par la suite eu l’opportunité de travailler avec leurs mentors. Réunis, ils ont pu revenir sur l’organisation de l’équipe, clarifier la vision de leurs défis et aplanir leurs divergences. Problématique, bénéfices, solution, freins ou opportunités sont autant d’aspects qu’ils ont pu préciser.
Les EIG et un mentor du défi DataMed qui travaillent ensemble sur la vision de leur projet, pendant l’atelier qui y est consacré
La synthèse de ces réflexions s’est matérialisée par des posters, qui ont été présentés au cours d’un “forum des défis”. Pendant ce temps d’échange informel entre défis, chacune et chacun a pu découvrir les autres projets, confronter son défi à des regards extérieurs, identifier des collaborations possibles et proposer son aide. Ce moment a été particulièrement apprécié. Il aura permis de consolider l’esprit de promotion et de favoriser les collaborations entre administrations.
Des mentors et des EIG qui présentent et échangent sur leurs défis au cours du “forum des défis”
Tout ce travail a été complété par les conseils avisés de plusieurs EIG de la promotion précédente qui sont venus à la rencontre des nouvelles et nouveaux arrivants pour partager leurs expériences passées. “C’est du travail en équipe, il faut aussi s’apprivoiser”, se rappelle Dorine Lambinet, ex-EIG du défi LexImpact. Elle souligne notamment le rôle important des designers au sein des équipes pluridisciplinaires, alors que “quand on arrive dans un défi, les mentors ont déjà une idée du produit”.
Echanges informels entre anciens EIG et nouvelles et nouveaux arrivants
Le bootcamp d’embarquement nous a également permis de lancer une cartographie des compétences de la promotion nouvellement constituée, ou bulloterie. Chacune et chacun a pu indiquer ses domaines d’expertise et exprimer ses désirs d’apprentissage, que l’on associera à l’avenir. Celle-ci sera enrichie, constituera un bon support pour l’échange de compétences et permettra de tirer le plus grand bénéfice de l’interdisciplinarité.
Bulloterie en cours de construction
Le bootcamp d’embarquement a été clôturé par un mot d’accueil d’Amélie de Montchalin, Ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, aux EIG. Elle a notamment exprimé sa fierté après la présentation de plusieurs défis et résumé en partie l’essence de cet article en ces mots : “La transformation, c’est possible quand on met les bonnes personnes au bon endroit”. Nous la remercions pour ses éclairages, qui guideront les EIG dans les prochains mois.
Mot d’accueil d’Amélie de Montchalin, Ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, en clôture du bootcamp d’embarquement
Et la suite ?
Des graines ont été plantées et germeront dans les prochains mois. Le sujet de l’interdisciplinarité a été particulièrement plébiscité par les EIG pendant le bootcamp, qui souhaitent désormais incarner leurs échanges avec la création d’une boîte à outils. Depuis leur retour dans leurs administrations, des designers ont initié développeuses et développeurs à Figma, un outil de conception, qui à leur tour leur ont fait découvrir GitHub, plateforme d’hébergement de codes sources et de collaboration. En complément, et à l’instar des années précédentes, les EIG ont aussi commencé à se retrouver entre métiers pour s’entraider, partager leurs bonnes pratiques, mutualiser leurs travaux et se former entre eux. Chaque discipline a mis en place un point d’échanges hebdomadaire.
Quant à l’équipe de coordination du programme, elle garde à l’esprit cette caractéristique accentuée de la promotion 4 pour penser et adapter l’accompagnement. Ainsi, la session d’accompagnement collective qui a suivi le bootcamp, organisée le 15 octobre, a porté sur le prototypage et la revue de projets. Mis en place régulièrement, ces deux processus permettent de valider les orientations du projet et de conserver l’alignement des parties prenantes. Un accompagnement sur l’organisation d’équipe et la feuille de route est également prévu.
Nous sommes persuadés que cette interdisciplinarité permettra un enrichissement mutuel pour les designers, les développeuses et les développeurs, les data scientists et les agents publics ! Mais cette année, d’autres enjeux nous attendent. Comment dimensionner l’accompagnement à la taille de la promotion ? Comment adapter l’animation de la communauté, qui devra se faire principalement à distance étant donné la situation sanitaire ? L’équipe de pilotage s’attelle d’ores et déjà à ces questions.
Nous souhaitons remercier Nadi Bou Hanna, Directeur interministériel du numérique, d’avoir accueilli la promotion EIG 4 en début de bootcamp, ainsi que toutes et tous les intervenants qui ont contribué au succès de cette semaine : Clément Mabi, chercheur en sciences de l’information et de la communication à l’UTC Compiègne, Régis Chatellier, chargé d’études prospectives au laboratoire d’innovation numérique de la CNIL, les membres d’Etalab et de la DINUM (Xavier Jouppe, Raphaël Dubigny, Stanislas Bernard, Amandine Audras, Alexandre Bulté, Jérôme Desboeufs, Maxime Beaugrand, Faustine Demiselle, Anne-Sophie Tranchet, Paul-Antoine Chevalier, Béatrice Mercier, Mathilde Hoang, Bastien Guerry, Kim Montalibet, Richard Hanna, Benoît Dequick), Jean-Charles Hourdeaux, product owner au Service d’information du gouvernement, les anciennes et anciens EIG (Hugo Stéphan, Sébastien Touzé, Dorine Lambinet, Pierre-Alain Jachiet) ainsi que le Lieu de la Transformation Publique et la Zalthabar qui nous ont accueillis pour les moments en présentiel.
Références
Dechamp, G., & Delaunay, C. (2016). Favoriser et gérer l’interdisciplinarité dans l’entreprise : la notion de territoires partagés. Management & Avenir, 88(6), 37-58. https://www.cairn.info/revue-management-et-avenir-2016-6-page-37.htm