5 leviers pour innover et entreprendre dans la fonction publique
S’engager dans un projet d’innovation, de modernisation ou de transformation n’est pas un long fleuve tranquille. « Innover, c’est d’abord déconstruire les mythes qui entourent les démarches de transformation » comme l’indiquait Sonia Prévost Mercier lors de la table ronde « Repousser les limites de l’innovation » à l’occasion de l’événement de clôture de la promotion 5.
Si le contact physique doit être maintenu pour l’administration – au regard notamment des quelques 13 millions de Français(e)s souffrant d’illectronisme, il n’en demeure pas moins essentiel pour le service public d’œuvrer à la transformation numérique de ses services à destination des agent(e)s et des citoyen(ne)s.
La tâche n’est pas aisée. Mais il incombe au service public d’être exemplaire sur ces questions. Ainsi, lors de son discours d’ouverture des Regards sur l’innovation publique, Stanislas Guerini, ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, a souligné cette valeur cardinale : « quand on s’engage dans la fonction publique, on le fait avec [un] supplément d’âme qui est le sens de l’intérêt général ».
Quels sont les facteurs clés de succès de tout projet d’innovation, de modernisation ou de transformation ? À la lumière de conférences et tables rondes entre entrepreneurs et entrepreneuses d’intérêt général (EIG), à la croisée de la cérémonie de clôture de la promotion 5 et du séminaire d’intégration de la promotion 6, nous identifions au moins 5 leviers qui concourent à la relève des défis d’intérêt général.
Levier n° 1 : s’inscrire dans la continuité, transformer de l’intérieur
Le programme EIG se place sous le signe de la pyramide.
Que représente-t-elle ? Il s’agit d’une représentation de la pyramide du Louvre, commandée par François Mitterrand et conçue par l’architecte Ieoh Ming Pei.
Dès lors, quel sens lui attribuer ? À l’origine, cette pyramide n’était pas une évidence, d’aucuns estimaient même qu’elle ne pouvait épouser les lignes classiques du palais qu’elle était censée magnifier ! Ces considérations paraissent aujourd’hui d’un autre temps, tant l’association entre le Louvre et sa pyramide semble évidente.
À l’instar de cette dernière, le programme EIG se propose de moderniser le service public par une dynamique d’innovation impulsée de l’intérieur. Les administrations partenaires développant incidemment une culture plus entrepreneuriale, aussi bien dans les méthodes de création de valeur que dans les pratiques de collaboration.
L’innovation et la transformation vers lesquelles tendent l’esprit entrepreneurial ne peuvent donc aboutir sans cette volonté interne de changement. C’est en faisant preuve d’empathie et d’écoute que la solution se précisera avec les parties prenantes. Un projet ne s’appuyant ni sur l’expertise métier ni sur les la compréhension des usages ne pourra résolument pas aboutir.
Ainsi, les EIG ne peuvent passer outre la culture existante, ni ignorer ses fondamentaux. Les maîtres mots sont flexibilité dans l’appréciation de l’environnement, anticipation des opportunités, humilité vis-à-vis des partenaires et conscience de leurs compétences.
Levier n° 2 : développer les complémentarités, faire collectif
Le rôle des porteuses et porteurs de projet, ainsi que des sponsors est structurant dans la réussite des défis. À la fois dans une posture de facilitation, de conseil et d’encadrement, ils et elles sont les phares vers lesquels se tournent les EIG pour éclairer leur cap. L’expertise métier des agent(e)s de service public et leur compréhension des politiques publiques sont un apport précieux aux EIG.
Mais la relation n’est pas à sens unique. Au contact des EIG, les administrations s’ouvrent à d’autres manières de travailler et bénéficient d’un regard neuf sur leurs enjeux et leurs pratiques. Accueillir une équipe d’EIG dans ses équipes, c’est ainsi ajouter de nouvelles cordes à son arc. Et cette collaboration contribue aux trajectoires de carrière, comme en témoigne la récente nomination de Stéphanie Schaer (porteuse du défi Signaux Faibles) à la tête de la Direction interministérielle du numérique (DINUM).
La cohésion de l’équipe EIG peut ainsi l’emporter sur les décisions unilatérales. En effet, s’il est bénéfique et même indispensable d’exprimer des sensibilités différentes (« divergences »), il est primordial de faire des compromis (« convergences ») afin de progresser ensemble vers un objectif commun et accepté. Cette saine collaboration permet de surcroît aux équipes de s’accorder sur la meilleure solution pour toutes et tous et de s’exprimer d’une seule et même voix lors de leurs interactions avec l’écosystème.
Je suis ressortie du séminaire EIG avec l’envie toujours grandissante de m’investir dans mon défi suite aux témoignages d’alumni. Les échanges m’ont fait prendre conscience que les deux développeurs avec lesquels je fais équipe sont très ouverts. J’ai la chance de ne pas me heurter à des difficultés d’association entre nos disciplines respectives. (Line Gallen, designer à l’IGN)
La co-construction en bonne intelligence est cruciale. Pour y parvenir, il est intéressant de s’attacher à certains préceptes : s’adresser aux autres comme on voudrait qu’ils et elles s’adressent à nous, accepter chez soi ou autrui la non-connaissance de tel ou tel sujet, éviter les postures de dépositaires du savoir, éviter d’apporter une aide superficielle et tronquée, préparer au maximum les réunions pour ne pas faire « perdre de temps » à ses participant(e)s ou encore encourager les retours mutuels.
Levier n° 3 : expérimenter rapidement, multiplier les initiatives
Il est bénéfique d’attiser et de nourrir la culture entrepreneuriale des administrations. Les démarches d’exploration et d’émergence permettent aux EIG de suivre un chemin de crête entre la stratégie et le terrain, afin de viser une incrémentation pérenne de la valeur au sein des administrations.
La démarche entrepreneuriale est avant tout une démarche d’action. À ce titre, le programme EIG est un formidable moyen pour agir en conciliant esprit d’innovation, co-construction et frugalité. C’est ce que souhaite faire le Cerema : en partant de difficultés récurrentes des collectivités, le défi est de proposer en seulement 10 mois un premier service simple, utile et donc utilisé. (Thomas Plantier, directeur de la transformation numérique au Cerema)
Cet esprit se manifeste entre autres par une appétence pour les expérimentations rapides et une acceptation de la possibilité de l’échec, par une culture du retour, par une comitologie légère (par exemple le « daily meeting » emprunté à l’agilité) et par un dépassement de fonction.
Face à la logique causale – déclinant les moyens à mettre en place au regard du but à atteindre – particulièrement répandue dans les administrations, il peut être pertinent de privilégier la logique effectuale ou « effectuation », développée par Saras Sarasvathy.
D’abord, partez de ce que vous avez. Appuyez-vous sur les réalités immédiates et les compétences de chacune et chacun pour entreprendre dès à présent et créer des opportunités.
Ensuite, raisonnez en pertes acceptables et gains attendus, id est rester maître de son temps, de ses ressources et éviter les velléités d’explorer de nombreux chemins simultanément qui conduisent à une trop grande dispersion.
Créez un patchwork fou ! Croisez les compétences et les expériences, diverses mais complémentaires. Il est opportun de solliciter l’altérité et de mutualiser des efforts.
Comme le dit le proverbe anglais, « Quand la vie vous donne des citrons, faites de la limonade. » Lorsque des difficultés se présentent, ne rechignez pas à prendre le taureau par les cornes, redoublez de créativité et au besoin rectifiez la trajectoire initiale selon les contraintes.
Enfin soyez pilote de votre avion. Pour ce faire, il est pertinent de s’attacher à l’impact et aux gains immédiats du projet plutôt que de se projeter uniquement sur les retombées futures.
Levier n° 4 : savoir convaincre, saisir les opportunités
Toute organisation humaine est traversée de mouvements qui tendent à maintenir un certain statu quo et à paralyser les avancées, que cela soit motivé par intérêt pour l’existant, par crainte d’un avenir que l’on discerne moins, ou même par résignation à force d’illusions déçues.
Dès lors, l’exercice de la conviction est déterminant pour toute personne souhaitant initier une dynamique et contribuer à une évolution. La maîtrise de l’éloquence pourra convaincre les plus réfractaires du bien-fondé de l’ambition partagée, en explicitant les enjeux et les gains.
Comment convaincre ? Le « pitch » est désormais l’un des principaux outils de l’entrepreneuriat pour emporter l’adhésion. Évitez donc la communication formelle et désincarnée, ponctuée de jargon. Privilégiez un message clair et ciblé, qui va droit au but et donne une âme à votre message. Explicitez les vertus du changement que vous souhaitez induire au travers d’un « storytelling » singulier, qui marque les esprits.
Entreprendre, c’est trouver un public. Sur votre chemin, vous rencontrerez des allié(e)s et devrez convaincre des hésitant(e)s. Aussi, chaque rencontre, même fortuite et banale, est l’opportunité de devenir une aventure ! N’hésitez pas à multiplier les occasions de faire entendre votre voix, pour changer les mentalités, bouger les lignes et créer de nouveaux possibles.
Levier n° 5 : embrasser l’incertitude, rester en mouvement
Établir la feuille de route et la faire valider vous prend plusieurs mois ? Tractations avec les parties prenantes, recherche utilisateur précipitée, fonctionnalités définies a priori… Ne pas réussir à livrer en temps voulu l’intégralité des solutions attendues vous frustre ? Course au respect des engagements, réduction progressive du périmètre, tests utilisateurs rudimentaires… Comment aurait-on pu éviter ces écueils ?
Il s’agit d’abord de désapprendre - un exercice difficile. En effet, nous ne savons pas rien : nous avons des connaissances, des intuitions, voire des certitudes. Nous pouvons être tenté(e)s de nous engager à la hâte dans l’exécution d’un grand plan, la mise en œuvre d’une solution ultime, conçue en chambre dans les règles de l’art. Mais il existe toujours un chemin plus court pour sortir de sa tour d’ivoire. Ne nous interdisons donc pas de prendre une nouvelle orientation, au lieu de poursuivre dans la même voie par souci de conformité avec la stratégie initiale.
Certaines équipes sont constituées en usines à livrer des fonctionnalités : les ingénieur(e)s y sont là essentiellement pour programmer. D’autres équipes ont la chance de bénéficier de plus de confiance, d’autonomie et de responsabilité. Elles se concentrent sur les problèmes à résoudre et les usages au plus proche du terrain, privilégient des avancées régulières et concrètes, mesurables en termes d’impact. Il importe donc de nous affranchir de nos carcans culturels, organisationnels et méthodologiques, pour réinventer nos pratiques et imaginer un médium peut-être plus frugal, mais capable d’être confronté rapidement au réel.
EIG bouscule à mon sens les codes de l’image que l’on peut avoir du service public. La méthodologie appliquée au sein du programme et l’accompagnement proposé nous permettent de nous mettre dans la peau d’un(e) entrepreneur(e) avec des contraintes - temps court, responsabilités - et des avantages - autonomie, créativité. (Jehanne Dussert, développeuse au ministère de l’Intérieur)
Le mythe de la « solution magique » est périlleux. Il est souvent préjudiciable de s’arc-bouter à une voie prédéfinie, l’innovation étant par définition imprévisible. Embrasser l’incertitude n’est certes pas chose aisée. Attachons-nous donc à saisir les problèmes sous-jacents. Restons en capacité d’apprendre, de découvrir de nouvelles facettes du problème, d’explorer des pistes inédites, en nous accordant le droit à l’erreur, pourvu que nous en tirions un apprentissage. C’est avec modestie et opiniâtreté que s’esquisse un chemin incertain mais prometteur.
Les principes exposés ci-avant ne sont pas dogmatiques. Ils sont tirés de l’immersion des EIG dans les administrations. Chaque promotion EIG transmet ses expériences et enseignements à la suivante. Chaque année, du séminaire d’intégration à la cérémonie de clôture, l’intelligence collective ne cesse d’enrichir notre compréhension et notre pratique.
Ainsi, Elisabeth Talbourdet-Ville, Félix Veith, Emily Betham et Alexandre Bastide ont partagé leur expérience de la collaboration au service de l’innovation. Par ailleurs, Célia Deyzac, Laurent Barbat et Sonia Prévost Mercier se sont interrogé(e)s sur le dépassement de soi nécessaire à l’entrepreneuriat. Enfin, Chloé Rotrou, Mathieu Perez et Philippe Galvan ont proposé des pistes pour repousser les limites de l’innovation.
Plus globalement, ce partage de compétences s’appuie aujourd’hui sur le vécu de plus de 200 EIG ayant pris part à l’aventure sur plus de 100 défis au sein de 80 administrations (90% des défis s’inscrivant dans la durée au-delà du programme) depuis le lancement du dispositif en 2016.
Nous ne pouvons qu’encourager chacune et chacun d’entre vous à vous appuyer sur ces leviers et à partager votre expérience, à votre tour, à la communauté EIG !
Vous travaillez dans une administration centrale ou chez un opérateur de l’État et vous souhaitez mener un projet exploratoire d’innovation numérique ? Vous êtes designer, développeuse ou développeur, juriste du numérique, ingénieur(e) de la donnée ou des sciences de la donnée et vous souhaitez rejoindre la prochaine promotion ? Inscrivez-vous à notre lettre d’information pour suivre l’actualité du programme EIG et être informé(e) des prochains appels à projets et à candidatures.
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2 septembre 2022